Dans les pays ayant atteint une étape supérieure de développement industriel, l’ancien état de chose du réalisme bourgeois a presque disparu. La représentation plastique de la nature y bat en retraite et se défend bien faiblement.
C’est alors que l’abstraction expressive prend place. Dans cet ordre on doit inclure les écoles d’art figuratif allant du cubisme au surréalisme, en passant par le futurisme. Certes, ces écoles ont répondu aux nécessités idéologiques de leur époque et leurs productions restent des acquis inestimables à l’égard de la solution des problèmes posés à la culture de nos jours. Malgré cela, son temps historique est révolu. En outre, l’insistance mise par les œuvres réalisées dans ce contexte sur le thème extérieur a ses qualités propres, est à considérer comme une régression, comme un service rendu à la figuration contre l’esprit constructif qui s’efforce de gagner à soi tous les aspects de la culture dans tous les pays.
Avec l’art dit « concret », lequel, en réalité, n’est qu’une branche plus jeune de cette tendance abstractionniste, commence la grande période de l’art non-figuratif où l’artiste, prenant l’élément et son support correspondant, crée l’œuvre dans sa pureté essentielle. Mais l’Art Concret a péché par manque d’universalité et de cohérence organisatrice. Il a sombré en de profondes et insurmontables contradictions, tout en conservant les atermoiements et les incertitudes de l’Art ancien et celles de ses ancêtres immédiats : le suprématisme, le constructivisme, le néo-plasticisme. Par exemple, il n’a pas su écarter de la peinture, de la sculpture, de la poésie, respectivement la superposition, le support rectangulaire, l’athématisme, l’imagerie créationniste ou surréaliste ; le statisme plastique, l’interférence entre volume et partie creuse ; des notions et des images pouvant être traduites, illustrées graphiquement. L’Art concret n’a pas su s’opposer, faute d’une théorie esthétique d’ensemble, et partant, d’une pratique adéquate aux mouvements intuitionnistes tels que le surréalisme, aujourd’hui universellement répandu. De là la réussite, nonobstant les conditions contraires, de l’intuition contre la conscience, des révélations de l’inconscient contre l’analyse objective, l’étude proportionnée et l’attention lucide que l’on doit avoir devant les lois de la chose à faire. On reste encore dans le symbolisme, dans l’onirisme et l’on prend parti pour la métaphysique contre l’expérience. Quant à la connaissance de l’art et de l’interprétation de ses données historiques, y sévit en permanence l’argumentation idéaliste et subjective la plus notoire. On ignore les lois du matérialisme dialectique et, lorsque l’on s’en sert, c’est pour les appliquer à l’économie et à la politique, laissant bien soigneusement de côté l’emploi de ses données à l’art, comme le font les tenants enragés du réalisme socialiste.
Bref, l’art avant Madi, tant dans le jugement de son propre contenu de classe que dans son idéologie et sa pratique peut être qualifié :
d’un historicisme scolastique, idéaliste ;
d’une conception irrationnelle ;
d’une technique académique ;
d’une composition unilatérale, statique et incohérente, nous donnant des œuvres exemptes de vraie universalité, de vraie trouvaille, et tout cela servi par une conscience, ou inconscience, imperméable à une rénovation permanente de méthode et de style, seule voie pouvant nous amener à créer l’événement.
Contre tout cela se dresse Madi, qui confirme le désir inaliénable de l’homme d’inventer, d’aller toujours de l’avant, de faire des objets dans le contexte des valeurs permanentes, coude à coude avec l’humanité dans sa lutte pour la construction d’une société sans classe qui libère l’énergie et en vienne à dominer et l’espace et le temps en tous sens, de même que la matière, jusqu’aux ultimes possibilités.
Sans rigueur descriptive en relation avec la totalité de la structuration, l’objet ne peut pas être réalisé ni intégré dans l’ordre universel de l’évolution. C’est ainsi que le concept d’invention doit être défini comme passage, comme faculté, jaillissement du désir, et celui de création comme acte, événement, comme essence se montrant et agissant éternellement.
Pour le Madisme, donc, Invention sera dévoilement, pressentiment de la chose, la chose en puissance, et Création, la chose réalisée.
En conséquence,
On reconnaîtra par Art Madi, l’organisation dans le support respectif des éléments propres à chaque discipline esthétique ; la présence de l’objet ; l’objet inséré dans la beauté d’un ordre dynamique, mobile, le thème que j’appelle « anecdotes ». Ludicité et Pluralité y sont de surcroît contenues.
Concrétiser le mouvement, le synthétiser pour que l’objet naisse et délire entouré d’un éclat nouveau.
Voilà les valeurs essentielles de l’œuvre madique.
Bannie toute ingérence des phénomènes d’expression, de représentation et de signification.
L’œuvre est, n’exprime rien,
L’œuvre est, ne représente pas,
L’œuvre est, ne signifie pas
Le dessin madi :
c’est une disposition de points et de lignes sur une surface pouvant créer une forme ou un rapport de plans.
La peinture madi :
couleur et bidimensionnalité. Structure plane polygonale. Superficie incurvée, concave ou convexe. Plans articulés, amovibles, avec mouvements linéaires, giratoires ou de translation. Coplanal.
La sculpture madi :
tridimensionnalité de valeur temporelle. Solides avec espaces vides et mouvements d’articulation, de rotation, de translation. Cristal et matières plastiques en transparence. Fils d’acier dansants.
L’architecture madi :
ambiance, formes amovibles et transparentes laissant le regard s’évaser vers l’horizon.
La musique madi :
sons et temps spatiaux, lignes et plans de bruitage thématiques.
La poésie madi :
proposition gratuite, notions et métaphores ne pouvant en aucun cas être traduites par d’autres moyens que la parole. Succession conceptuelle pure. Superficies dispersées ou articulées en tous sens. Livres de formes variées. Poésie mobile.
Le théâtre madi :
scénographie amovible s’adaptant aux déplacements d’objets et des personnages idéaux. Dialogues de cause à effet gratuits. Mythe inventé et événement.
Le roman et la nouvelle madi :
sujet se mouvant sans lieu ni temps réels. Rigueur de langage et identité paradoxale.
La danse madi :
corps et mouvements indépendant de la musique. Thème plastique, gestes et attitudes en concordance, circonscrits à un lieu mesuré ou délirant. On ne danse pas une musique, mais on peut danser un objet, géométrique ou autre.
Je crée l’événement.
Le passé n’est pas d’aujourd’hui qui sera demain.
Je vous lègue la formule des inventions de l’avenir.
Carmelo Arden Quin
(Buenos Aires 1946)