Bellier et Auvray
Le nom complet de cet ouvrage est le Dictionnaire général des artistes de l'École Française depuis l'origine des arts du dessin jusqu'à nos jours. Communément appelé le Bellier et Auvray, cet index est publié pour la première fois en 1882. Initié par Emile Bellier de La Chavignerie, le projet est repris par Louis Auvray après la mort de Bellier en 1871 alors que le dictionnaire n'en est encore qu'à la lettre D.
C'est en 1854, au Comité central des artistes, que je fis connaissance de Bellier de la Chavignerie. Il était l'archiviste de cette société, dont je fus successivement le secrétaire, l'administrateur général et le Président. Bellier aimait les artistes, en recherchait la société et mentionnait, de temps à autre, leurs travaux dans quelques journaux. Cette conformité de goût et d'occupation amena vite, entre nous, une liaison des plus intimes. Un jour, je le trouvai dépouillant les livrets des Salons : "Mon cher ami, me dit-il, je commence un grand travail, je prépare un Dictionnaire des artistes français, dont les ouvrages ont été admis aux expositions officielles. - Ce livre, répliquai-je, rendra des services, mais des services incomplets ; il ne satisfera ni les artistes, puisque vous ne citerez pas qu'une partie de leurs travaux, ni les biographes, ni les collectionneurs qui ne seront qu'à demi renseignés sur les productions des exposants. Pourquoi vous borner à ne parler que des ouvrages exposés ? Pourquoi ne pas mentionner à la suite des oeuvres inscrites aux livrets des Salons, celles, souvent très-importantes, qui n'ont pu figurer aux expositions ? Votre livre serait alors bien autrement intéressant, surtout si vous faisiez entrer dans ce dictionnaire les non-exposants, les artistes du Moyen-Age et ceux de la Renaissance."
Mes observations le frappèrent, mais sans le décider à se lancer dans une entreprise aussi considérable que celle que j'indiquais. Cependant, quelques mois plus tard, Bellier renonçait à son Dictionnaire des artistes exposants, il en donnait tout ce qu'il avait déjà de fiches faites à un ami commun, à M. Alphonse Pauly, de la Bibliothèque nationale, qui vint me l'annoncer et me demander de publier cet ouvrage en collaboration avec lui. J'y consentis et M. le comte de Nieuwerkerke, surintendant des Beaux-Arts, en accepta la dédicace. Dès lors, j'annonçai dans la Revue Artistique et Littéraire cet ouvrage en préparation. Mais tandis que nous cherchions un éditeur, Bellier s'était ravisé, il s'était décidé à réaliser le plan que je lui avais tracé, à faire un Dictionnaire général des Artistes de l'Ecole française, ce dont je le félicitai. Je mis ma bibliothèque à sa disposition et, tous les dimanches matin, je lui portais les renseignements recueillis dans le courant de la semaine, car l'apparition du prospectus de ce dictionnaire venait enlever tout intérêt au nôtre que ne devait comprendre que les exposants aux Salons du Louvre, tandis que le nouvel ouvrage de Bellier allait non seulement s'occuper des exposants et des non-exposants, mais reproduire presque textuellement les livrets de toutes les expositions, de celles de la Jeunesse sur la place Dauphine, de celles de l'Académie de Saint-Luc, de celles du Salon de la Correspondance, de celles du Colisée et de l'Elysée aussi bien que de celles de l'Académie Royale au Louvre, et de l'Administration des Beaux-Arts qui se font aujourd'hui au Palais de l'Industrie.
La première livraison du Dictionnaire général des Artistes de l'Ecole française parut en 1868, et lorsque la mort vint enlever ce pauvre ami Bellier en 1871, l'ouvrage était à peine à la lettre D, le commencement de la neuvième livraison entrait seulement entre les mains de l'imprimeur. On connaissait mes relations avec Bellier, on savait que je m'intéressais à son dictionnaire ; ce fut naturellement à moi qu'on s'adressa pour terminer cette livraison, ce fut également à moi que, plus tard, on demanda de continuer cette publication et de la conduire à bonne fin. C'est ainsi que, sans m'en douter, je fus amené à faire ce dictionnaire, dont j'avais donné l'idée, et dont, comme tous ceux qui traitent les questions d'art, j'attendais l'apparition avec impatience.
En me chargeant de ce grand travail, je savais par expérience à quoi je m'engageais, ayant été attaché à la rédaction du catalogue des expositions officielles de l'Etat ; je savais que pendant plusieurs années tout mon temps serait absorbé, mais je savais aussi que j'avais en ma femme Mathilde Orro de Wachenheim, un collaborateur dévoué, décidé comme moi à renoncer aux relations, aux distractions pour nous consacrer entièrement au travail.
J'ai conservé, ainsi que je le devais, le programme de Bellier de la Chavignerie : 1° l'admission dans le dictionnaire de tout artiste dont les oeuvres, présentées au jury, ont été admises plusieurs fois au Salon ; 2° l'abstention de critique et d'éloge, ce dictionnaire ne devant être qu'un livre utile, qu'un recueil de renseignements les plus exacts possibles. Je n'ai pas la prétention de n'avoir fait aucun oubli, de n'avoir commis aucune erreur ; il faudrait pour penser ainsi, ne s'être jamais occupé de biographie.
Paris le 20 février 1882.
Louis AUVRAY
Président de l'union artistique, scientifique et littéraire Valenciennoise, à Paris.