Loin d'être le repli que quelques uns dénoncent, l'expérimentation, en art, est une guerre permanente. Il y a certes, des peintres qui un beau matin, avec enthousiasme, et les mains vides, partent vers le but qu'ils ont rêvé, avancent, et puis qui s'installent dans un tranchée où plus rien ne les atteindra. Il y en a d'autres qui vont jusqu'à leur objectif et qui. demandent alors à ceux qui partent de s'attacher comme des chèvres à ce poteau d'arrivée, pour brouter les restes, ou du moins de le prendre sur les épaules : au nom de leur "expérience" ils demandent aux partants de ne pas avoir le sens expérimental.
Mais l'expérimentation, en art comme ailleurs, n'est ni une iconoclaste dogmatique, ni une course de relais. C'est ce qu'instinctivement les peintres du groupe expérimental hollandais ont compris. Et ils ont accepté l'expérimentation avec toutes ses difficultés, tous ses risques. Ils ont refusé de peindre dans le vide, comme si le surréalisme n'avais pas existé et comme si la Hollande était une vue de l'esprit, et ils ont refusé de copier ce que les autres peintres expérimentaux avaient peint avant eux.
Les esprits faciles seront tentés de dire qu'ils se faufilent entre le surréalisme et l'art abstrait, et prennent ceci à l'in, cela à l'autre comme une ménagère chez l'épicier prend trois poireaux, quatre navets, un oignon est trois céleris.
Mais ils sont entrés dans la peinture par la grande porte, celle de la vie, et ils ont repoussé ce que le surréalisme (en peinture) et l'art abstrait ont de commun : la mise en chambre de réflexion de la peinture;
Ils sont contre la peinture préfabriquée (et je pourrais aussi bien dire : fabriquée), qui transforme la main du peintre en pistolet. Ils se sont simplement aperçus qu'ils n'étaient pas manchots, et ils ont donné la main au tableau, qui l'a évidemment acceptée.
Ils sont contre la peinture platonique, qui transforme le sexe du peintre en point d'interrogation. Contre la peinture cultivée, qui fait du peintre un redorer de blasons : ceux de la bourgeoisie.
Contre la peinture scientifique, qui veut se présenter le squelette avant que le corps soit né, ait grossi, ait rougi ses joues dans le tableau.
Ils sont contre la peinture ironique, qui. veut bien exprimer la joie organique de l'univers, et la joie historique du monde, en 1949, mais qui a. honte et qui coupe l'élan esthétique. (si esthétique veut dire : du plaisir sensoriel, sensuel et sensible) avec un élégant petit canif intellectuel.
Ils pensent que le plaisir de vivre n'est pas indigne de la peinture, et que le plaisir de la peinture n'est pas indigne de notre vie. Et ils ont donc laissé la grande porte ouverte.
CHRISTIAN DOTREMONT.