Abstraction-Création
Au début des années 30, le Surréalisme, placé sous la figure tutélaire d’André Breton, devient un frein à la libre expression des artistes. Auguste Herbin, Jean Hélion et Georges Vantongerloo s’associent le 15 février 1931 pour donner vie au collectif
Doublé d’une revue éponyme, le groupement y fait la promotion de l’Abstraction selon deux grands axes d’étude : une simplification des formes de la nature jusqu’à la non-figuration ; l’utilisation des formes géométriques selon une posture totalement géométrique. Héritier direct de Cercle et Carré, le groupement organise ses réunions au Café Voltaire et à la Closerie des Lilas. Les expositions prennent place au rez-de-chaussée du 44 avenue de Wagram.
Le groupement s’éteint en 1936 après avoir compté une cinquantaine de membres et pour un total de 419 membres et amis inscrits si l'on en croit les décomptes faits par Herbin, Vantongerloo, Béothy, Gleize et Gorin pour chaque pays dans le cahier n°4 de 1935.
Le groupe se dissout définitivement en 1936.
Principales expositions
Textes fondateurs
Abstraction création art non figuratif - 1932
art non figuratif
nous avons choisi ces mots pour désigner notre groupement et notre activité parce que nous n'en avons pas trouvé de moins obscurs ou de moins contestables. l'ensemble des reproductions contenues dans ce cahier pourra leur servir de définition. par ailleurs, nous n'y tenons pas spécialement. non figuration, c'est-à-dire culture de la plastique pure, à l'exclusion de tout élément explicatif, anecdotique, littéraire, naturaliste, etc...
abstraction parce que certains artistes sont arrivés à la conception de non-figuration par l'abstraction progressive des formes de la nature.
création parce que d'autres artistes ont atteint directement la non-figuration par une conception d'ordre purement géométrique ou par l'emploi exclusif d'éléments communément appelés abstraits tels que cercles, plans, barres, lignes, etc...
nous ne jugeons pas, nous ne comparons pas, nous ne séparons pas les oeuvres construites selon l'évolution abstraction ou selon la création directe. nous nous efforçons de constituer un document de l'art non figuratif.
la sélection opérée sous la responsabilité du comité de l'association abstraction création est basée sur le fait de non-figuration ; toutefois ne sont invités à participer au groupement que les artistes qui se considèrent comme définitivement non figurateurs. ceux qui produisent à la fois des oeuvres contenant des formes d'êtres ou d'objets plus ou moins apparentes et des oeuvres sans préoccupations de cet ordre, quelle que soit la valeur de ces dernières, ne sont pas invités.
nous pensons que la réunion dans ce cahier d'oeuvres très différents mais accordées par l'idée commune de non-figuration, facilitera pour le public la conception des possibilités et de l'envergure de l'art purement plastique.
chaque artiste a été invité à exprimer dans un article les raisons qu'il juge motiver essentiellement son attitude. ces articles, qu'ils soient écrits par lui-même ou par un écrivain spécialement choisi, sont placés sous la responsabilité de l'artiste qu'ils concernent : ils n'engagent que lui.
le comité a prié différents écrivains et différentes personnalités intéressés par l'art non-figuratif de répondre à des questions relatives à la situation de cet art dans la société actuelle et la culture. les artistes suivants, considérés comme indiqués pour participer à l'association ont été invités : kandinski, neugeboren, fernandez, carlsund.
n'ont pu être joints : lissitski, mallevitch, tatline.
certains ont décliné l'invitation ; les reproductions des oeuvres des autres n'étaient pas parvenues à la rédaction au moment de la mise sous presse.
l'association
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hans arp, par hans schiess
le relief de hans arp est une peinture menée jusqu'en dernière instance. sur un plan plus ou moins concis se meuvent des objets plastiques composés au début, dans l'entité de l'arrière plan.
délivrés de la surface plane, ils se centralisent et prennent une vie propre. placés l'un sur l'autre, ils se dégagent dans l'espace et deviennent une sorte de tableau-sculpture. s'identifiant avec ses créations, arp achève des corps, des objets tangibles, des surfaces qui prennent un volume.
pour vaincre la cruelle illusion de notre monde, il veut un corps concret, une nature humanisée et adaptée à l'immuable.
il veut une réalité aussi, qui lui survivra même matériellement. il en résulte des formes qui sont au-delà de nous, qui sont magiques et sans signification déterminée.
arp crée sans demander au fonds commun et arrivé à des formes qui ont été avant notre existence, avant les siècles de la terre, avant la perception de nos sentiments.
la courbe de ses reliefs est comme la courbe d'une feuille, une partie dans la totalité, en même temps que l'accomplissement de la nature même.
il ne cherche ni expression, ni transpositions sentimentales, aucun symbole spiritualisé, aucun sous-entendu. ce qu'il donne : un événement figé en bois, un événement inexplicable dont l'existence est entre la naissance et la mort.
il a passé dans cette autre et nouvelle réalité où nous découvrons des mots et des vues en nous, que pourtant nous n'avions jamais appris jusque là à connaître, et qui semblent perexister malgré l'étroitesse de nos limites, et en dépit de la décevance de nos recherches.
arp a même réalité parfois, dans les oeuvres plus anciennes, ce sentiment : il y a sur la surface de ses tableaux, parmi les objets fixés dessus, des ouvertures dans lesquelles paraît sombrer la morne tristesse du rien.
le jeu de sa création s'accomplit dans l'immesurable et devient l'amplitude des possibilités humaines.
les couleurs prépondérantes des oeuvres de arp sont le noir et le blanc. coloris local jamais descriptif. - ce noir et blanc, n'est-il autre, hélas, que le comble de l'interférence optique ? l'anéantissement de toute illustration ? - les deux pôles autour desquels nous tournons : le vide et le comble.
appliqué sur une sculpture, c'est la négation du volume et son plus entier développement.
par la couleur encore, arp neutralise dans ses corps l'impassibilité du non-être, enclose dans notre existence.
dans les dernières de ses oeuvres, enfin est accompli le mariage entre l'espace, autour de nous, métriquement ordonné et l'existence presque végétale de ses objets.
sur une demi-sphère portée par une colonne sont placées d'autres petites colonnes d'égale hauteur. le tout devient un édifice cosmique. les mesures arbitraires de notre géométrie, combinées à la perexistance de ses créations, donnent une généralisation concrète d'un jeu dans son sens le plus subtil. ici se trouve réunie une totalité qui tend à joindre toutes les racines des fictions de notre existence.
ici encore, dans cet événement sculpté, comme dans l'arbre, on trouve la singularité répétée de la nature.
cet univers créé par arp est sans allusion aucune, mais la nature répondrait à rien en nous, si nos expériences ne parlaient en elle.
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les sculptures de arp sont des fétiches qu'il a su placer entre la création et la mort. ils sont des attributs magiques remplis d'une signification secrète et inexprimable, en face desquels nous sommes pris d'un malaise, comme sous l'influence d'un sortilège.
il n'y a rien dans cette oeuvre d'une extase individuelle, ou d'un souci personnel. aucune parole ne pourrait recréer l'impression de l'oeuvre. cette profonde ombre qui entour son travail, est à peine effleurée par notre conscience et cependant on est tenté d'approcher ce mythe avec des mots, de fixer en paroles ce qu'il a transporté en bois dans des mystères dont il raconte un événement, - de lui seul connu et matérialisé.
willi baumeister
la compréhension de la valeur propre des couleurs, des formes, des contrastes, etc. donne une nouvelle et forte vitalité à la peinture. il s'agit de travailler en-dehors de tout effet décoratif, de tout ornement, de tout détour et de tout camouflage par les formes de la nature.
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étienne beothy
l'homme de la renaissance, qui vient de s'échapper de l'atmosphère mystique et étouffante du moyen-âge, devient un adepte fervent de la réalité.
il construit avec une précision inouïe des milliers de systèmes de réalités et les confronte avec conscience. il échafaude des hypothèses et les abandonne en en concevant de meilleures, en foule.
une découverte fort caractéristique au commencement de cette poursuite effrénée est la perspective de l'espace et plus tard, des couleurs : la disposition des valeurs de distances et aussi de couleurs, dans un rapport relatif commandé par une contemplation.
la théorie due à cette découverte exerça pendant cinq cents ans, une influence prépondérante sur les beaux-arts. c'est elle qui contribua au développement et à l'appréciation des arts basés sur la surface : fresques, graphiques et enfin peintures à l'huile, et les fit préférer aux arts architecturaux et plastiques.
sous l'influence de la théorie de la perspective, une illusion de l'espace se crée et le but devient la reproduction fidèle de la réalité. les meilleurs peintres n'arrivent à s'en détacher qu'avec peine dans une mesure discutable, en traitant leurs thèmes figuratifs avec une conception plus ou moins souveraine.
seule l'exploitation à satiété de toutes les possibilités et variations démontre péremptoirement que ce jeu amusant et brillant des illusions ne touche guère aux problèmes éternels et fondamentaux des beaux-arts ; que ces recherches n'en sont que des incidents épisodiques et qu'il existe des données de principe générales et impérieuses : l'examen indépendamment de la contemplation, des valeurs absolues et distances et de couleurs, comme de facteurs directs de l'effet psychique et sans rapport avec un sujet à produire.
au point de vue des données de la distance, ce fait soulève le pur problème des proportions. quant à celui des couleurs, il pose le problème d'une harmonie analogue à celle propre de la musique.
dans l'histoire des beaux-arts, c'est le début du cubisme qui représente la plaque tournante des nouveaux buts à poursuivre. évidemment, au début, ces buts sont demeurés inconscients et instinctifs. mais, depuis cette époque, ces problèmes absolus deviennent le noyau de la peinture abstraite qui se libère de plus en plus de la conception figurative et perspective. et ils représentent l'aurore d'une nouvelle époque et d'un nouvel épanouissement de l'architecture et de la plastique, lesquelles redeviennent dominantes après avoir été "libérées de la désaffection" qu'elles avaient subie pendant les époques d'appréciation erronée et excessive des points de vue secondaires.
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carl buchheister
c'est en 1923 que j'ai reconnu qu'en divisant le plan du tableau par des rythmes de forme et de couleur, il s'améliorait. progressivement j'ai éliminé les complications de composition jusqu'à ce que je n'y trouve plus aucune possibilité de développement. alors je parvins à redonner aux plans une vie nouvelle en créant des surfaces en relief par rapport aux autres. plus j'employai différents matériaux, grâce auxquels l'expression plastique fut intensifiée. je travaille maintenant à des sculptures mobiles.
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alexandre calder
comment réaliser l'art ?
des masses, des directions, des espaces limités dans le grand espace, l'univers.
des masses différentes, légères,lourdes, moyennes, - indiquées par des variations de grandeur ou de couleur - des directions - des vecteurs représentant des vitesses, vélocité, accélérations, forces, etc... - ces directions faisant entre elles des angles significatifs, et des sens, définissant ensemble une grande résultante ou plusieurs.
des espaces, des volumes, suggérés par les moindres moyens opposés à leur masse, ou même les contenant, juxtaposés, percés par des vecteurs, traversés par des vitesses.
rien de tout ça fixe.
chaque élément pouvant bouger, remuer, osciller, aller et venir dans ses relations avec les autres éléments de son univers.
que ce soit, non seulement un instant « momentané », mais une loi physique de variation entre les éléments de la vie.
pas d’extractions,
des abstractions
des abstractions qui ne ressemblent à rien de la vie, sauf par leur manière de réagir.
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il s’agit d’un art pur, d’une peinture pure ayant ses loi picturales à soi, en dehors de tout le déjà prévu ou le déjà quelques peintres ont pressenti, vers les années 1908-9-10-11-12, etc., un changement d’époque, complet dans son esprit : je sépare bien, quand je parle, la peinture d’époque de la peinture de mode ou de mondanité.
la première phase destructive du cubisme annonçait cet état de transition, de passage vers cet esprit et, sans état transitionnel et destructif, portait déjà les germes de naissance. (lire les biographies de cette époque).
la vie dynamique non pas vie par le côté extérieur et mécanique, mais dans l’esprit même du dynamisme, annonçait déjà l’avénement de notre superbe époque, où la vie même de l’esprit va reprendre sa place impérieuse et fonctionnelle.
époque de grands mouvements, de cet ordre nouveau dynamique, en opposition avec le statisme antérieur.
elle porte sa caractéristique dans la couleur fonction même de l’expression circulaire et mouvante.
« expression circulaire et mouvante » sont les termes les plus appropriés pour parler de dynamisme humainement.
la couleur seule étant génératrice de mouvement, plastiquent, il ne s’agit plus de géométrie de l’espace, qui est encore une représentation d’une figuration dite géométrique, mais d’une toute nouvelle fonction organique de l’esprit dépouillé, débarrassé de l’ancienne représentation objective que l’on peut classer avec les natures mortes et les vieilles lunes.
on ne peut atteindre cet ordre vivant circulaire que par un métier authentiquement adéquat, picturalement, à lui-même, et créatif, n’étant pas prisonnier des formules ou naturalistes, ou académiques, ou géométriques, mais portant en soi la nouvelle objectivité naissante. donc, ni néo-cubiste, ni fauvisme et, d’une manière catégorique, aucun « néo » aucun retour.
il ne s’agit ni de querelles d’écoles ni de représenter ou de ne pas représenter des objets, puisque une peinture dite sans objet peut être aussi morte qu’une peinture représentant une « nature morte ».
utilisé, un métier authentiquement neuf, dont les limites mêmes sont en dehors de toute comparaison historique de la peinture ; un art qui ne peut être que de la peinture ; fait matériellement, physiquement, par le truchement de la peinture, pour le moment présent, et dont on ne peut trouver de traces dans le passé, c’est-à-dire un art passionnément révolutionnaire.
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les grandes tendances révolutionnaires actuelles de l’art sont les tendances vers l’ordre.
un ordre dans le mouvement, l’action.
cet ordre est une construction sur des bases de rapports nouveaux.
pour la peinture : synthèse visuelle, rapports plastiques de contrastes et de vibrations.
après la destruction (le cubisme), nous avons le bonheur d’assister et de participer à la reconstruction d’un monde nouveau : ordonné, clair, sain, généreux, optimiste et dynamique.
ceci est dit pour la peinture.
mais est)ce que la peinture n’est pas une expression spirituelle de la vie avec un peu d’avance sur elle ?
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william einstein
l'effet de la crise actuelle est assez intéressant, seulement l'artiste est pauvre et c'est de sa faute. Quand on est dans la période de vie où l'on commence à être "différent" on peut être poussé à nier toute pensée ou action vers le bonheur matériel. c'est aussi la période de la fierté spirituelle ; seulement on ne produit que des oeuvres de sensibilité, souvent très fines mais d'une conception limitée.
plus tard vient la "grande" conception, basée sur la "grande" raison de l'existence de l'art ; pour laquelle si une impulsion vient de la nature elle vient de la "plus grande" considération de la nature qui est possible. il faut à ce moment se rendre compte où l'on est. il ne faut pas agir bêtement.
s'il se trouve une génération à ce point, 'il me semble qu'elle n'existe pas), les membres de cette génération doivent essayer d'organiser leur vie de la meilleure manière possible pour pouvoir arriver à une liberté de pensée et à une compréhension de ce qui est vraiment contemporain.
certains sont souvent accusés de vivre hors de la vie. dans un sens c'est vrai, mais il faut aussi se rappeler que de vivre dans la vie c'est être grossier ou chic. Il y a un certain plaisir à être chic et aussi sans doute être grossier, mais il ne faut pas les confondre avec l'art.
en réalité la vie suit de force l'art comme elle suit toujours la science. probablement qu'il en sera toujours ainsi.
m. seuphor
l'art nouveau
et le surréalisme. - il se peut qu'il ne soit pas très exact de dire que la force et la valeur d'une action (d'une création) se mesurent à la réaction agressive qu'elle rencontre et à la force d'inertie plus ou moins dense qui s'oppose à elle. on peut toutefois affirmer avec mille exemples à l'appui qu'une action franche et audacieuse qu'une idée nouvelle positive et volontaire se forment et se définissent à la lutte contre la réaction et que sans cette dernière elles ne connaîtraient jamais d'ardeur d'une foi indispensable à la lente et dure besogne de construire. c'est d'ailleurs l'histoire de toutes les religions et de toutes les grandes doctrines qui, au cours des siècles, se partagèrent le cerveau de l'humanité, sans la réaction du monde juif la figure de jésus ne serait jamais parvenu au magnifique symbole de la croix ; et sans l'opposition du monde romain les disciples de jésus n'auraient jamais acquis la souplesse spirituelle et l'endurance nécessaires pour convertir le monde barbare. quoi de plus noble et de plus séduisant que l'humble attitude du martyre, que cette simplicité attendrissante au milieu de la force brutale et la dépravation.
ainsi quand une maladie nous attaque la santé prend conscience de sa valeur et, dans la lutte pour sa sauvegarde, se découvre des qualités et des aptitudes dont la connaissance organique lui sera d'une précieuse utilité une fois la stabilité (physique, morale, intellectuelle) rétablie.
j'estime donc que ce serait pour le plus grand bien de l'art nouveau et de la pensée nouvelle si leur expression pouvait rester encore quelque temps le privilège d'un petit noyau d'artistes et de penseurs. petit noyau s'entend en face de 36000 peintres de la région parisienne et leur énorme production qui s'entasse dans les salons "modernes".
j'estime aussi que cet art qui est jeune encore ne saurait que gagner en conscience et en richesse s'il se heurte à des mouvements en réaction tels que le "mouvement surréaliste", s'il rencontre l'ironie et le mépris des critiques sacrés, si enfin le public le snob, seul acheteur, s'écarte définitivement de ses voies pour suivre ceux qui crient plus fort ou ceux qui mieux se gobent. car tout ce qui devient trop facilement monnayable se galvaude fatalement. et tout ce qui est persécuté dans le monde est refoulé vers le sol et dans la retraite forcée, s'augmente, se hausse à une attitude plus noble et plus convaincante car plus sûrement désintéressée.
on ne transforme le monde que par la lente action d'une conscience clairement mûrie. les révolutions violentes et brusques sombrent vite dans leur opposé contraire que leur passion irraisonnée et sans mesure engendre d'elle-même. les grandes et durables transformations de l'histoire sont des évolutions lentes et par cela sans retour. une idée forte née et cristallisée dans le cerveau d'un seul homme est plus puissante que des hordes innombrables de révoltés enflammés et inconscients. car l'idée bien pesée arrive à son but et stabilise sa conquête, tandis que la révolte pour la révolte ou un but physique immédiat se neutralise d'elle-même une fois le feu consumé - elle n'est qu'une expression rythmique (donc belle en ce sens) de la nature comme une tempête ou un ras de marée.
j"entends par "surréalisme" ce vaste mouvement littéraire, qui a si tristement influencé les peintres et qui devait naître en 1924 sur les ruines du dadaïsme négatif sous le titre ridicule et empanaché de "révolution surréaliste". beaucoup de bruit, quelque vaisselle cassée et retentissement mondial (dans les principales villes d'Europe des écoles sous-surréalistes se fondèrent presque immédiatement), mais à la première analyse rien de stable ni de positif : d'un côté un vaste parasite sur guillaume apollinaire (mais sans sa puissance et son indiscutable personnalité), d'un autre côté mise à profit de toutes les facilités opportunistes du moment afin de faire "public" sous un vernis d'intellectualité : freud et communisme. en somme leur principale préoccupation consiste à adorer comme une idole en grandissant à l'homme entier "ce petit ruisseau de merde que chacun a dans son coeur", pour citer un des leurs et non le moins bourgeois.
l'art nouveau et la pensée nouvelle logiquement issus des apports nouveaux du siècle et des nouvelles valeurs culturelles et sociales, se développant et se précisant parallèlement à ces valeurs, avaient besoin du surréalisme révolutionnaire et réactionnaire afin de prendre mieux conscience d'eux-mêmes, de leurs limites logiques et de leurs possibilités. face à face avec tout ce qui brille de clinquant et tout ce qui déjette avec orgueil les déchets humains et trop humains (bestiaux) qui s'amassent dans le gouffre de l'incertain et du subconscient, ils montrent une volonté mûrement réfléchis vers plus de clarté par plus de simplicité, vers une sagesse mesurée par la réduction des moyens à l'essentiel, vers une amélioration de la vie en général par l'adoption d'une norme régularisateur des appétits de l'esprit et du corps.
en conclusion il nous faut donc apprécier le surréalisme pour le service qu'il rend sans le vouloir à la pensée nouvelle. il nous faut aimer sincèrement nos ennemis et veiller à ce qu'il ne nous manque jamais, car la vie serait bien pauvre sans la lutte constante de l'être dans son effort vers le bien le mal est nécessaire au bien comme la nuit est nécessaire au jour et la souffrance à la joie. et le vrai ne serait plus le vrai s'il n'était entouré de tout ce que l'esprit confus peut inventer de bizarre, de maladif et de fou. or toute la valeur du vrai consiste précisément en l'effort qu'il faut pour l'atteindre en brisant cette peinture de l'impureté et du non-sens, effort qui porte en soi la sagesse et la foi.
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otto freundlich
le clair et l'obscur sont des besoins et des qualités du point de vue de la création de la forme.
c'est le fond, essentiel de la nature mais ce n'est pas naturalisme.
le clair et l'obscur s'expriment par des plans élémentaires en dehors et sans aucun besoin de formes figuratives ou déjà créées.
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gabo
nous nous appelons constructivistes parce que nos tableaux ne sont plus "peints" ni nos sculptures "modelées"mais au contraire construits dans l'espace et à l'aide de l'espace. ainsi nous détruisons ce qui auparavant séparait la peinture de la sculpture.
le principe constructiviste conduit les arts plastiques au domaine de l'architecture. l'art jadis reproductif est devenu créateur. il est maintenant une source spirituelle où puiseront les architectes futurs.
loin de nier à l'art ses fonctions nous cherchons à les développer et à les réaliser d'une manière plus large et plus riche.
au moyen de la technique constructiviste nous sommes capables, aujourd'hui, de mettre à jour les forces cachées de la nature et de réaliser des événements psychiques.
une oeuvre d'art constructiviste n'est en aucun cas une abstraction.
nous ne nous détournons pas de la nature mais, au contraire, nous la pénétrons plus profondément que l'art naturaliste ne fut jamais capable de le faire.
albert gleizes
une société meurt par une impotence généralisée. le trait caractéristique de l'impotence c'est de compenser la vitalité qui manque par l'orthopédie ; d'où le machinisme est un simulacre extérieur de création, un adjuvant de la création pour des fins utilitaires et matérielles ; néanmoins il déplace le problème de l'auto-admiration et démontre la précarité des apparences, fondements de l'état d'esprit de toute société adulte ; il redonne une valeur authentique à la volonté et à l'action par simple jeu du contraste. - changez donc ses directives. au lieu des satisfactions matérielles et utilitaires songez à satisfaire des besoins plus nobles, ceux qui correspondraient à ce qu'on appelle "l'esprit" et , d'un mal, vous aurez fait un bien. il ne s'agira plus de courir le globe à la vitesse d'un bolide, non plus de posséder un univers agrandi, il s'agira de regagner soi-même, de reprendre possession de sa puissance, de sa volonté, de son action en tant qu'homme responsable d'un univers de qualité.
c'est vers ce changement que les arts et les sciences, dans ce qu'ils ont de plus désintéressé et de plus clairvoyant, tendent depuis déjà un bon nombre d'années, avant que la pourriture sociale ne s'avère aussi avancée, dans les régions gratuites de l'intellect, un mode de pensée, complètement opposé à celui encore officiel aujourd'hui, posait ses principes essentiels et donnait ses premières expressions.
dans les arts et dans les sciences, l'analyse sensible a abouti, par les abus auxquels elle donna lieu, à la destruction du spectacle et du milieu qui paraissaient indiscutables et prouvés par l'expérience. - qu'on m'excuse d'être bref en raison de la place dont je dispose ; je condense pour conclure vite. le support des sensations ayant disparu, l'homme est demeuré la seule réalité concevable dans cette irréalité alentour. l'extérieur ne correspondant plus à rien, c'est en lui que l'homme retrouva tout et, au lieu d'attendre du dehors sa justification il la découvrit à l'intérieur de lui seul. l'action remplaçait la sensation ; le milieu se réédifiait sur la
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mesure de l'homme et la création humaine tirait, du néant des matières brutes, un ordre intelligible sans ses constructions et sensible dans ses aspects.
c'est le fonde de l'aboutissement de ces manifestations qui se sont produites sur le terrain des arts et des sciences, qui ont passé à vrai dire inaperçues dans leur signification profonde au début du dix-neuvième siècle, - les romantiques dans les arts, hugo, delacroix, et dans les sciences, lobatchewsky er riemann, - et qui ont paru si surprenantes depuis vingt-cinq ans.
la machinerie orthopédique extérieure, jouant, jusqu'à rendre toute sa vie impossible, sur des quantités désaccordées avec l'ordre de grandeurs de l'homme est remplacée par une création vivante intérieure, respectant les limites de l'ordre de grandeurs de l'homme et cependant, permettant à l'esprit de se situer dans sa nature illimitée.
créer humainement, - et je sais ce que ce verbe, ici, comporte de restrictif si on lui oppose son sens absolu. - implique donc un renoncement total à la sensation extérieure. c'est ce qui le distingue d'"abstraire". il oblige à connaître le principe de l'ordre vivant, qui simultanément relie les organes dans l'organisme. ce principe est ce qui change la puissance en acte, ce qui de l'immobile fait du mobile. quand on a compris ce que c'est que le mouvement on a le moyen de créer humainement.
le mouvement est bien ce qui a le plus besoin d'être précisé aujourd'hui. sous les mirages de la vitesse on pense en discerner les caractères ; erreur ; il n'est là qu'une agitation sensible sans rapport avec le mouvement qui est le continu de l'esprit. constatons aussi que la perte du sens de mouvement est liée à d'autres pertes insoupçonnées, dont les mots, demeurés dans le vocabulaire courant, sont improprement entendus : un exemple, "la forme" définie de la même manière que la "figure". cette confusion a amené les prises résultats et l'in des plus curieux est, sans contredit, cette déconvenue du physicien officiel devant ce qu'il appelle les contradictions de l'électron.
ces pertes de valeur et ces impropriétés de termes suffiraient à faire pressentir que leurs redécouvertes et leurs mises au point rapporteraient un ordre qui a existé jadis, qui est dans la tradition de la vie faite de principe et de nuancements, et qui concevait la création humaine comme nous sommes quelques-uns à la concevoir aujourd'hui.
les esthéticiens de profession, qui promènent leur ennui et leur paresse dans les musées et les galeries, qui ne conçoivent l'oeuvre d'art qu'autant qu'elle est transposition littéraire, peuvent nous reprocher la simplicité de nos oeuvres ; cette simplicité est justement ce qui les humanise le plus largement et qui, si elle les éloigne de ces aréopages faisandés d'une époque finie, les rapproche complètement de l'humain dans ce qu'il a de plus permanent et de plus catégorique. dans ce qu'on appelle "les époque religieuses, avant que l'affabulation ne vienne perturber l'acte formel et compromettre son unité, ces expressions créatives non-figuratives avaient seules le droit de cité ; elles répondaient à la notion de l'homme fait à l'image de dieu et obéissant à l'ordre : tu ne feras point d'idole par tes mains, ni aucune image de ce qui est dans les étonnantes eaux supérieures, ni sur la terre au-dessous, ni dans les eaux sous la terre...
c'est vraisemblablement une époque de ce genre qu'ont annoncé, longtemps avant la débâcle matérielle aujourd'hui survenue, ces dépouillements vers la pureté dans les arts et dans les sciences.
Artistes associés
Josef Albers, Jean Arp, Vladimir Baranoff-Rossiné, Willi Baumeister, Étienne Béothy, Max Bill, Oreste Bogliardi, Constantin Brancusi, Serge Brignoni, Carl Buchheister, Alexander Calder, Henri-Jean Closon, Louis Conne, Alexander Corazzo, Robert Delaunay, Sonia Delaunay, Juan Del Prète, César Domela, Katherine Dreier, William Einstein, Ernest Engel-Pak, Hans Erni, Louis Fernandez, Hans Fischli, Frantisek Foltyn, Lucio Fontana, Otto Freundlich, Naum Gabo, Laure Garcin, Gino Ghiringhelli, Albert Gleizes, Julio Gonzalez, Jean Gorin, Arshile Gorky, Carl Hanser, Jean Hélion, Barbara Hepworth, Auguste Herbin, Carl Holty, Evie Hone, Fritz Huf, Jiri Jelinek, Mainie Jellett, Vassily Kandinsky, Frederick Kann, Théo Kerg, Katarzyna Kobro, Jeanne Kosnick-Kloss, František Kupka, Osvaldo Licini, Alberto Magnelli, Ferenc Martyn, Galliano Mazzon, Fausto Melotti, Piet Mondrian, Marlow Moss, Paul Nash, Ben Nicholson, Taro Okamoto, Wolfgang Paalen, Pablo Picasso, John Piper, Alexandra Povorina, John Wardell Power, Enrico Prampolini, Mario Radice, Mauro Regianni, Alfréd Réth, Manlio Rho, Paul Roubillotte, Hans Schiess, Kurt Seligmann, Edwige Schlaepfer, Kurt Schwitters, Atanasio Soldati, Henryk Stazewski, Wladyslaw Strzeminski, John Tandy, Lajos Tihanyi, Ernst Toller, Léon Tutundjian, Georges Valmier, Luis Vargas Rosas, Luigi Veronesi, Paule Vézelay, Jean Villeri, Gérard Vulliamy, Bart van der Leck, Theo Van Doesburg, Georges Vantongerloo, Jacques Villon, Friedrich Vordemberge-Gildewart, Gérard Vulliamy, Edward Wadsworth, Theodor Werner.
Artistes à rapprocher
Kasimir Malevich, El Lissitski.
Courant, mouvement, lieu à rapprocher
Livres d'art en vente