écoute les pierres Caio Reisewitz
Bendana | Pinel Art Contemporain a le plaisir de présenter « écoute les pierres », la troisième exposition personnelle de Caio Reisewitz à la galerie.
Ce texte a été rédigé en février 2020. Les premiers cas de l’épidémie de Covid-19 étaient alors diagnostiqués en Amérique Latine. Bien que les signes de catastrophe environnementale imprègnent le texte, nous ne pouvions anticiper que l’urgence d’imaginer des futurs alternatifs se poserait avec autant d’acuité.
Outra educação pela pedra: no Sertão
(de dentro para fora, e pré-didática).
No Sertão a pedra não sabe lecionar,
e se lecionasse, não ensinaria nada;
lá não se aprende a pedra: lá a pedra,
uma pedra de nascença, entranha a alma.
João Cabral de Melo Neto
A educação pela pedra, 1965
Comme exercice photographique, l'artiste brésilien Caio Reisewitz (São Paulo, 1967) a choisi de d’orienter son regard vers un élément sans qualité apparente, et dont la crudité donne le ton à cette exposition. Des images présentées, seules deux affichent le brillant et l'exubérance des couleurs, une des caractéristiques communément attribuées à sa production – l'autre étant le grandiose de l'échelle, qui s’astreint ici aussi à ces deux images dissonantes, dont l’éclat brouille ce qui pourrait autrement être un discours unifié d’un ensemble de pâles photographies.
De plus en plus politiques, les récentes séries de l'artiste sont inextricablement entrelacées aux conflits internes vécus dans son pays, comme dans Altamira (2013 / 2018), où il documente la région forestière de Belo Monte, en voie de disparition du fait de la construction d’une centrale hydroélectrique. Ou dans Água escondida [Eau cachée] (2014), où il dirige sa critique vers l'agression humaine à l’encontre des sources, des digues et des rivières, remblayées par la croissance vorace des villes.
Les images inédites ici symbolisées par la brutalité des pierres, se placent comme une combinaison dystopique entre les deux séries précitées. En elles, la nature ne représente plus un éblouissement romantique, ne s’offre plus au regard sous sa puissance sublime, grandiloquente, séduisante et effrayante. Elle est bien plutôt petite et artificielle, se faisant parfois scénographie potentielle pour Fim de Par [Fin de Partie], de Samuel Beckett : des pierres volètent dans l’environnement sec d'une planète récemment découverte, ou se posent en vestiges post-apocalyptiques, comme les paysages dépeints dans la pièce.
La décision de l'artiste de presque toujours effacer toute trace d'existence humaine – laquelle ne peut être perçue que par des informations secondaires, par exemple, lorsqu'il enregistre des édifications – est ici décisive. En l’absence de protagonistes, nous sommes – nous – le témoignage de ce que la nature a d’humain. Mais celle-ci n’est plus d'une visualité impérative. Notre corps est confronté à des paysages silencieux, monotones, sombres et nébuleux qui appartiennent à nul temps, à nulle part. Lointains, ils sont des visions acérées d'un processus de désertification de la vie.
D'où la radicalité de Reisewitz avec ce nouvel ensemble d’images : l'abdication comme moyen de dénoncer l’épuisement. L’occultation des couleurs réelles des paysages, ainsi que la rétraction de leur potentiel physique, sont une manière de dire que le dilemme fondateur de l'anthropologie, le choc entre culture et nature, contemple sa fin. Si les sociétés occidentales triomphent grâce à un modèle de culture « universel » et à un mode de production spécifique qui mettent la vie en danger, la nature donne le change sous forme de pénurie des ressources indispensables à la subsistance.
En tant qu'artiste qui voit dans le long regard porté sur le paysage – les jeux entre la nature vernaculaire et celle bâtie par l’homme – l'un de ses principaux sujets poétiques, Reisewitz n'est pas innocent dans son choix des deux images devant conserver leurs couleurs exubérantes. La première déverse du rouge sur la terre et nous renvoie aux deux graves accidents environnementaux résultant de la rupture de barrages dans l'État du Minas Gerais: Mariana (2015) et Brumadinho (2019). Le torrent de boue qui a balayé de vastes territoires dépasse notre capacité de métaphore : il est l'incarnation même du chaos.
Dans l’autre sens, le bleu dense de la photographie amazonienne acquiert valeur d’image-synthèse de ce qui subsiste d'un monde pré-anthropique. Dans cette exposition, l’œuvre dénote une rupture, désarçonne par la sobriété des images adjacentes. Au milieu de paysages fanés, elle incarne la potentialité d’un Brésil-délivrance, comme un Shangri-La. À l'échelle de la vie, sa luminosité est une oasis de ce qui nous reste encore, ou nous restera, comme utopie du futur.
Luise Malmaceda