grâmmeS
n°2, 1958.
Revue du groupe ULTRA-LETTRISTE
En octobre 1957, au sujet de l'exposition des affiches lacérées chez Colette Allendy, nous lisons qu'avec Raymond Hains et Jacques de la Villeglé on revient paradoxalement à une conception primitive du papier collé.
Que fut le collage : une invention cubiste qui consistait à colorer, d'un paquet de gauloise bleue ou de scaferlati gris, un fusain. Ironie pour l'amateur de peinture qui regrettait la production de l'objet.
Schwitters, dédaignant les hétéroclites outils de l'homme artiste peintre, choisit les moyens de représentations de notre quotidienne civilité, tel le ticket de bus. L'innovation du cubisme et de Schwitters fut de transformer en moyen d'expression picturale n'importe quel élément de notre univers journalier, dont font partie intégrante les affiches lacérées.
Le paquet de gauloises, le ticket d'autobus n'étaient rien d'autre qu'un élément de peinture comme le tube de laque garance Bourgeois ; il fallait que consciemment et fortuitement un peintre provoque leur rencontre avec d'autres "réalités distantes sur un plan non-convenant" pour qu'ils prennent toute leur valeur, qu'ils fassent oublier leur signification fonctionnelle primaire.
Estimant la non-préméditation créateur d'art digne des musées, considérant comme résultat positif la lacération du passant, avec Hains nous tenions au début, vis-à-vis de l'acte de peindre ou de coller, nos distances. Nous n'avons exposé notre collection d'affiches lacérées avec ou sans cadre que pour les préserver de la destruction ; parfois découragés par la timidité de certaines déchirures, il nous était impossible de ne pas donner notre coup de pouce, ni même en temps d'asthénie politique de refouler notre goût de produire et de créer des faux.
Des faux ? Non. Nous rappellerons une discussion entre Arp et Mondrian, ce dernier opposant l'art artificiel à la nature naturelle.
Nous pensons, et Arp sans doute ne nous contredira pas, que le geste impulsif de la ruine s'oppose pas à notre goût volontaire de l'action. Absolument, et nous sommes sûrs de nous entendre avec ce Vierge renversé, l'oeuvre lacérée devrait telles les oeuvres concrètes demeurer anonyme.
La lacération implique le refus de toute échelle de valeur entre l'objet et le ready made, mais nous tenons le choix en grande estime. On nous reprochera toujours d'en laisser et des meilleurs sur les palissades, car ce qui intéresse l'escargot peut très bien nous échapper.
Avec Schwitters, le collage était à son apogée. Les raffineurs apportèrent Max Ernst l'anecdote découpée. Hans Arp le papier froissé, plié, noué, et la photo déchirée. En 1947, avec l'album Jazz, Matisse, la trace du ciseau et une expérience de peintre longue de soixante ans.
Pendant ce temps, les laborieux voulurent enferrer le collage un utile relai à la formation et à l'acquisition des vocabulaires plastiques individuels, tels ces professeurs d'une académie qui apprennent à leurs disciples à composer rapidement un tableau au moyen de papiers de couleur. Décontracté, comme un Talbot, le lacérateur dégagea hors de ces exercices.
Comme l'écriture avec l'aventure d'Hepérile qui officiellement éclata en 1953, au domaine de l'heureusement illisible, antidote contre toute propagande, l'affiche fut introduite : la vie - en accord avec Mondrian - manque d'équilibre. Non pas de beauté : VOIR la lacération, activité abhumaine.
Certains collectionneurs ayant encore le préjugé de l'huile et du tout fait main, refusent à nos oeuvres la personnalité picturale. Peut-être voudraient-ils nous voir reproduire les palissades à la brosse ? arguant parce qu'il grommelait devant des murs craquelés : "Jamais ma peinture n'arrivera à ça", qu'une des ambitions de Wolls fut de les copier ; pour nous, il ne peut y avoir de confusion entre ses toiles et ce qu'il voyait sur les murs-excitants, suivant la tradition à lui transmise par Léonard de Vinci.
La lacération vient au bout et à bout de la peinture-transposition. Aux collages qui prirent naissance à la force du jeu de plusieurs attitudes possibles, les affiches lacérées, manifestation spontanée, opposent - les intermédiaires s'étant vidés d'eux-mêmes - leur vivacité immédiate qu'elles nous révèlent depuis dix ans. Accusant le coup, nous sommes partis à la cueillette. A la cueillette de ces objets "autres". Les préservant de tout apport impur. Comme nous l'a appris Camille Bryen : "l'antipeinture devient peinture actuelle, renouant même dans sa liberté avec des raffinements et des styles". Autre danger.
Nous cernerons plus avant cette activité, non pas à cause de l'insuffisance des mots, tout au contraire, la définition n'est-elle pas un de leurs derniers bastions ? Mais nous qui n"avons pas encore décollé de cette tension graphique à égale distance, semble-t-il, de la non-signification et des perspectives hypermnésiques, nous n'avons nulle envie de nous embastiller. Pourtant, il y aura toujours un 14 Juillet. Ainsi la définition du dictionnaire (Hazan 1957) de Michel Seuphor : "Une peinture doit être appelée abstraite lorsque nous ne pouvons rien reconnaître en elle de la réalité objective qui constitue le milieu normal de notre vie", laisse le champ libre à notre lacération étiquetée avec légèreté abstraite.
VILLEGLÉ.