Bac Jaune - poétique des cartons d'emballages

Mardi 16 août, 2022, 4:02 Europe/Paris | Actualisé : Lundi 15 janvier, 2024, 13:39
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photo F Duconseille
accueil d'un groupe de collégiens dans l'exposition 'ça vaut le détour' Galerie Apollonia à Strasbourg

Faire œuvre de cartons d'emballages ouvre une voie, un fil sur lequel progresser au-dessus du vide, voie singulière, fragile et forte, faite de pirouettes et de pieds de nez, geste iconoclaste de défricheur, terra incognita en terre trop connue, tout est là sous nos yeux aveuglés par la mécanique sociale, un monde de formes cachées dans l'envers des choses, le retournement éclaire, révèle, élève. Tapies sous l'image de la marchandise, des formes vivantes sont mises à jour, elles nous parlent, nous touchent, résonnent en nous et activent des structures de reconnaissances que portent l'espèce humaine depuis des temps ancestraux, une « visagéité » dont parlent Gilles Deleuze et Félix Guattari (1)

 

Ce que l'on voit dans les cartons d'emballage déployés et tenus sous le verre des encadrements sont des formes archaïques qui parlent de notre humanité précaire et laborieuse, formes de nos espoirs et de nos peurs, formes étranges mais pas tant que cela. Cette étrangeté nous est familière, c'est celle des masques, des fétiches, des animaux, sacrés ou non, des monstres dont on aime à s'effrayer. L'étrangeté tient à la co-présence de la pensée rationnelle de l'emballage calibré par les ingénieurs, designers, publicistes... et d'un archaïsme syncrétique qui arrache et sauve l'objet de sa destinée éphémère, transsubstantiation, alchimie du bac jaune, paradoxe anthropologique d'une boucle temporelle associant le très court terme de l'emballage-marketing au temps long de structures de pensées et de croyances ancestrales.

 

Et si les formes cachées étaient pensées par les concepteurs d'emballages comme forces agissantes au cœur de la marchandise ? comme autant de divinités douées de pouvoirs sur le consommateur, l'action serait alors « diabolique » car contrairement à ce que l'on croit et voit la force d'attraction d'un emballage ne serait pas dans sa forme extérieure (visuel, design, texte...) mais dans une puissance cachée en son envers, force agissante en infra, de façon subliminale.

 

Autre paradoxe que celui d'ordre écologique qui veut qu'une activité éminemment polluante (produire des emballages destinés à être immédiatement jetés) révèle en son sein moult figures d'animaux, premières victimes de cette activité, coquetterie aveugle d'une humanité envoutée par la marchandise et sourde à la catastrophe qu'elle engendre. Les cartons sont une troublante synthèse formelle du crime et de la victime, comme si l'arme avait la forme du corps qu'elle tuait ; imaginez ce que seraient nos armes létales, poignard à forme humaine, canon en forme de ville, bombe en forme de pays...

 

Cette conjonction entre le temps très long de l'archaïque avec notre temps idiot et court est aussi le signe de notre époque où surgit au cœur du consumérisme aveugle la menace hors échelle de notre perte.

 

François Duconseille, janvier 2020

 

(1) Année zéro – visagéité in 'Mille plateaux – capitalisme et schizophrénie' Gilles Deleuze et Félix Guattari (les éditions de minuit - 2001)

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