Louis Derbré

BIOGRAPHIELouis Derbré


Distinctions
Officier de l'ordre des Arts et des Lettres, Chevalier de l'ordre national du Mérite, Chevalier de l'ordre national de la Légion d'honneur.

Louis Derbré appartient à une longue lignée de sculpteurs, tous descendants en droite ligne d'Auguste Rodin, d'Aristide Maillol ou encore d'Etienne Martin : le démiurge n'assemble pas mais taille le bois et la pierre jusqu'à ce qu'un visage ou un corps émerge de la taille directe.

Aux origines était la terre

Louis Derbré est né à Montenay, près d'Ernée en Mayenne le 16 novembre 1925. Il est le fils de Jean-Marie et Marie-Louise Derbré, tous deux cultivateurs. Il a deux soeurs et trois frères.

 

Issu du monde agricole, le "P'tit Louis" Louis n'est pas promis à de longues études. Scolarisé jusqu'à l'âge de 12 ans, il reste dans la ferme de ses parents jusqu'à l'âge de 19 ans, fournissant ainsi une aide et des bras pour l'exploitation agricole. De 12 ans à 19 ans, il arrache le chiendent l'hiver, coupe les blés l'été, surveille les vaches ou les aide à vêler. 

 

"Mon lieu de naissance explique, je le crois, ma manière de voir et de sentir les choses. Grandir dans une ferme en famille, vivre dans les champs, travailler la terre est une bonne école".

 

Les parents de Louis Derbré.
Louis Derbé enfant, en famille.
Le mariage de Louis Derbré

 

La réalité est que Louis n'est pas vraiment fait pour la vie aux champs. Alors qu'il évoque ses origines devant un journaliste de Ouest France, son ami d'enfance M. Coupeau lui répond : 

 

"Tu surveillais les vaches. Enfin, tu préférais fabriquer des petits objets en bois, ou faire des cabanes en feuilles de châtaigniers, les vaches pouvaient partir, tu t'en fichais."

 

Au début de la guerre, Louis est âgé de 15 ans. Il bricole, fréquente les dépotoirs pour trouver des cadres de vélos qu'il revend tandis que sa famille héberge des réfugiés. Parmi eux, Antoinette Cabrol, celle qui allait devenir sa femme.

 

"A la ferme, nous avons hébergé tout au long de la guerre, au moins deux mille réfugiés qui venaient de Normandie et d'ailleurs. Mon père allait chercher du trèfle dans les champs pour nourrir les chevaux. La garnison de Mayenne a également couché là. Et puis ça a été la débâcle. Nous avons dû quitter la ferme une journée environ. Les Américains se trouvaient à quelques kilomètres d'Ornée et les Allemands réquisitionnaient de la nourriture. Ils ont même pris une jument qui s'est emballée. C'était leur dernière résistance. Le lendemain, à huit heures, les Américains étaient là."

 

 

L'Appel de la ville

La fin de la guerre venue, Louis Derbré s'est marié. Un changement de statut qui va précipiter son entrée dans le monde de la sculpture. Il vit désormais à Paris, Boulevard Brune, dans le 14e arrondissement parisien.

 

"M'étant marié, je me suis trouvé dans un changement de situation : je devais quitter la terre momentanément. Je suis donc venu à Paris, comme manoeuvre, en attendant de faire un service militaire qui n'a jamais eu lieu, étant donné que j'étais de la classe 45."

 

Ce service ne venant pas, Louis entre comme manoeuvre dans la maison d'édition d'art religieux du sculpteur Georges Serraz. Michel Serraz, son fils, né la même année que Louis, est entré aux Beaux Arts en 1946 dans l'atelier de Marcel Gimond.

C'est au contact des étudiants des Beaux-Arts de la section Art et Dialogue que naît sa vocation :

 

"C'est en écoutant leurs dialogues qu'au bout de deux ou trois ans je suis moi-même devenu sculpteur. En suivant ces conversations d'Ecole qui me paraissaient conventionnelles, j'en suis venu à une espèce de révolte en moi-même et au lieu de dire : "non, ce n'est pas comme ça que je me vois", j'ai commencé à faire quelque chose.... J'étais obligé de "faire" d'une part parce que je m'ennuyais terriblement, et d'autre part, poussé par je ne sais quelle force et ne demandais qu'à faire... Je me le demandais intérieurement, j'implorais tous les dieux de la terre pour que je puisse faire quelque chose qui me sorte de cette solitude qui était en moi... Et il s'est alors passé une révolution intérieure. Il y a eu un contact immédiat avec une nouvelle vie. J'ai découvert la sculpture en faisant le portrait d'un jeune peintre qui acceptait de poser pour moi... 

 

C'était parmi les étudiants, à mon avis, le plus sensible et le plus intuitif... Il avait déjà compris quelque chose. Tout-à-fait sans qu'on se parle... Il avait accepté de poser pour moi, alors que j'étais un manoeuvre. Il n'y avait que lui qui acceptait de dialoguer avec moi. Il y a eu vers cette époque, je dirais "une mise à feu" : ça a été extraordinaire. Car je n'étais plus malheureux du tout. Je n'avais plus envie du tout de retourner dans ma campagne. Dans ce visage, je retrouvais tous les paysages : les vallées, tout le nez était une colline, les arcades sourcilières des mamelons et l'oeil un volume dans ce berceau... Tout se trouvait transposé. J'avais retrouvé là la vie intense. A compter de ce moment, c'en était fini de ma solitude. Il y avait cette nouvelle vision et tout un monde commençait pour moi, en 1948."

 

Louis Derbré n'a alors que 23 ans et les choses s'enchaîneront désormais très rapidement.

Louis Derbré sculptant.
Louis Derbré jeune
Louis Derbré jeune

 

En 1950 naît sa fille Mireille. Dès 1951, il reçoit le Prix Fénéon des mains du poète Aragon pour son portrait de Werschürr ainsi que pour le portrait d'une jeune fille.

 

Un prix, doté de 100 000 F qui incarnent un nouveau tournant dans son existence : Louis peut aménager son premier atelier dans la cour de l'immeuble qu'il occupe rue Raymond Losserand dans le 14e arrondissement parisien. Il y sculpte le bois et la pierre et installe un creuset dans son poêle à charbon pour réaliser ses premiers bronzes.

Il commence alors à exposer au Salon d'Automne, au Salon de la Jeune Sculpture et au Salon des Indépendants. En 1953 il reçoit le Prix National décerné par l'école des Beaux Arts de Paris où il exposera l'année suivante. Coup de maître :  le musée d'Art Moderne de la ville de Paris acquiert une de ses oeuvres en 1954. Le succès aidant, Louis rencontre progressivement les artistes, écrivains et critiques qui font l'art de son temps : Raymond Charmet, Claude Roger Marx, André Parinaud, Bernard Buffet, Jean Jansem, Alain Bosquet, Juliette Darle, G Besson, Raymond Cogniat, Ozouff, Jean Carton.

Werschürr, 1950
L'entrée dans l'atelier d'Emilio Gilioli

Louis Derbré entre dans l'atelier d'Emilio Gilioli en 1956. Gilioli cerne rapidement le potentiel de Louis Derbré et le définit en disant de lui : "C'est une force de la nature."

 

"J'ai commencé avec Gilioli en 1957 ou 1956... On commençait à savoir que je pouvais travailler toute les matières. Je connaissais parfaitement le moulage et j'avais appris entre temps tout ce qui concerne le métier qui est à côté de la sculpture. Tout ce qui est artisanat. Cela m'avait beaucoup apporté pour m'exprimer... Gilioli me disait : " Prends ton temps, fais le bien." 

 

Et comme on travaillait le granit et le bronze, il y a eu une sorte de plénitude parce que ça apportait une fermeté à ma forme ; je savais faire des plans bien établis... Je les avais d'une façon innée, mais j'ai rencontré quelque chose comme une loi absolue... Une tension dans les plans, dans les galbes, une tension dans un rond, dans un vide. Voilà l'apport reçu par Gilioli. Tout ce qui concerne l'histoire de tailler et la perfection de la lumière sur un plan... Mais j'ai transposé. Je transpose automatiquement en créant une "figuration abstraite."  Gilioli atteint la plénitude, en plein accord avec ce qu'il fait. Il va, à mon sens, jusqu'au bout de ce qu'il peut donner comme densité dans son domaine, dans son problème qui n'est pas le mien...

 

Je n'ai jamais pensé, ni même été tenté de faire une autre forme, parce que j'étais chez Gilioli. J'ai seulement compris ma transposition. Cela m'a confirmé dans ma façon de penser, de voir. J'ai pu obtenir ainsi, disons, le côté architectural dans la transposition. J'étais très content de travailler chez Gilioli, parce que j'y faisais cette connaissance avec l'Art abstrait et que si je n'avais pas eu cette connaissance, je n'aurais peut-être pas pu m'exprimer avec une telle liberté... "

 

 

C'est donc bien dans l'atelier que Louis Derbré rencontre l'abstraction. Mais il ne se départit pas pour autant du rapport au corps. Durant la période qui couvre les années 56 à 59, il s'attache à dessiner et travailler une sculpture en pied. Il fréquente pour cela l'atelier de la Grande Chaumière  à Montparnasse où il choisit des modèles.

 

Cette période est aussi le moment où Louis Derbré abandonne son vélo pour rouler à moto dans Paris. Au fond de son atelier, il taille L'Aube, une sculpture d'1,95 m de haut dans une poutre de chêne.

Atelier de Louis Derbré
Atelier de Louis Derbré à Paris rue Losserand, construit par l'artiste lui-même et dans lequel il installe de quoi fondre ses pièces. On y reconnaît également une peinture.
L'Aube, 1959
La rencontre avec le galeriste Hervé Odermatt

Louis Derbré et Hervé Odermatt sont deux hommes d'une même génération. Ils partagent tous deux une enfance campagnarde : "J'ai appris la littérature en gardant les vaches" vous dira Hervé Odermatt. La rencontre entre les deux hommes se fait en Mayenne au début des années 60. Hervé Odermatt, jeune galeriste, participe alors à une partie de chasse. Passant près d'un bâtiment, un des compagnons de chasse de Hervé Odermatt lui confiant qu'un jeune sculpteur y tient un atelier, Hervé Odermatt se décide à le rencontrer. C'est alors la découverte inattendue d'un travail de grande qualité et la naissance d'une belle amitié.

 

Fasciné, Hervé Odermatt organise une exposition au titre tonitruant Rodin, Maillol, Derbré. La comparaison propulse Louis Derbré sur le devant de la scène. Louis Derbré y présente 26 oeuvres et le succès est très largement au rendez-vous.

 

Il devient un sculpteur reconnu. En 1962, il s'installe avec sa femme et sa fille dans  son nouvel atelier à Arcueil.

 

Il écrit à sa mère de ''donner des nouvelles à la famille car malgré ses idées qui l'emportent au-delà de la terre il ne l''oublie pas''.

 

Vue de l'atelier d'Accueil
Vue d'une partie de l'atelier d'Accueil

 

C'est le début d'une carrière fulgurante.

 

En 1965 Seconde exposition à la Galerie Hervé, préfacée par Louise Weiss. C'est un succès aux retentitions internationales auprès des collectionneurs.

 

En parallèle, Louis Derbré donne également des cours le soir à quelques élèves qui, rapidement, se révèlent de fidèles collectionneurs. Chaque séance démarre par l'apprentissage de la sculpture pour se finir par un dîner festif. 

 

Les expositions se succedent au Québec, Norvège, Japon.

 

 

En 1971 la Galerie Katia Granoff l'expose. Il fond ses sculptures dans la fonderie qu'il a installée à Arcueil, dans son atelier. sa sculpture  La Terre, bronze de 9 m d'envergure est choisie par le Groupe Seibu pour orner la place Ikebukuro à Tokyo. Une réplique en résine de La Terre, est installée et exposée en permanence Place des Reflets à La Défense.

 

Et en se projetant en 1992 ... la celebre brasserie La Coupole à Paris, à Montparnasse, acquiert La Terrre.

 

Il recoit aussi à ce moment la Croix de Chevalier dans l'Ordre National du Mérite.

 

Et une carriere internationale se deroule depuis les annees 70. C'est la réalisation de 6 oeuvres pour le Nathan Cumming's Hospital de New York, Des oeuvres sont installées dans le Vermont ( Le Reve, La Terre), les expositions à l étranger se multiplient à nouveau : Norvège, Japon, Brésil, Côte d Ivoire, Canada, Etats Unis, Brésil au Musee d'Art Moderne de Sao Paulo.

 

Une première retrospective : " Vingt ans de sculpture " au château de Vitré (Ile et Vilaine)

 

1976 C'est la date de la première exposition à la galerie Artcurial avenue Matignon Paris présentée par Pierre Mazars. "Derbré ou les corps vivants", Ensemble de bronzes polis. 

 

1979 nouvelle exposition à la galerie Artcurial.

 

Il y exposera régulièrement jusqu'en 1985. Belle retrospective cette année la au Cellier des Chartrons à Bordeaux.

 

En 1977, une grande retrospective aussi à Abidjan, Côte d'Ivoire où il a réalisé pour M Blohorn une "piéta" en marbre de Carrare destinée au Cimetière d'Adjamé.

 

La suite des années 70 aux années 2000 voit l'évolution de l'art et l'épanouissement de l'imaginaire de Louis Derbré. Ses oeuvres se retrouvent démultipliées et installées au Liban, en Grèce, en Indonésie, parallèlement en France de prestigieuses expositions lui sont consacrées à Paris, l'Hôtel Sheraton,  Salon Comparaison au Grand Palais Paris, et en permanence à la Galerie Artcurial.

 

Jacques Chancel journaliste et ecrivain, animateur de radio et de l'émission quotidienne 'Radioscopie' sur France Inter interview Louis Derbré en 1981.

 

 En 1984, c"est une commande de la Ville de Paris : la statue du President Georges Pompidou "La minute de silence"" (bronze de 3,80m) exposée à Paris, dans les Jardins Gabriel près du Palais de l'Elysée.

 

1985 formidable exposition à la Galerie Artcurial, d'une série de sculptures en marbre de Carrare, sélectionné sur place lors d'un voyage specialement programmé.

 

Les Adolescents, la Gorge, l'Aile, le Chat, l'Effraie sont taillés dans ce marbre.

 

Louis Derbré est promu Officier des Arts et Lettres en 1986. Il est nommé membre du jury de l'association Florence Blumenthal (pour la pensée et l'Art Francais) Maillol et Despiau l'avaient précédé dans cette fonction.

 

Louis Derbré commence alors à créer des sculptures monumentales, dans le même temps est organisée une exposition à la fondation Vasarely qui dure deux mois.

 

1989 sera l'année américaine, rencontre du galeriste Philippe Staib et organisation d'une exposition à New York, rétrospective à Los Angeles et poursuite internationale qui passe par Bangkok pour former des artisans en fonderie, une exposition à Bâle  Galerie de Bodenschatz suisse, retour en France pour la création d un hommage à Louis Richerot un des fondateurs du Dauphine Libéré.

 

Stèle pour le cimetiere de Grenoble.

 

1990 année charnière, opération du cœur et double pontage par le professeur Guilmet. Six jours après cette opération, Louis Derbré réalise le portrait de son chirurgien, dans sa chambre d'hôpital.

 

Les années 1990 à 2000 puis 2011 année de sa mort, Louis Derbré va imaginer et construire un Espace dédié à la sculpture, les expositions, le théâtre...

 

1991 : création de l'espace Louis Derbré où une fonderie est aménagée et où, jusqu'a la fin de sa vie, Louis Derbré assurera les salaires de cinq compagnons d'atelier et d'une assistante avec sa sculpture et ses revenus. Il fait vivre ces lieux qu'il aurait souhaités pérennes pour la ville d'Ernée et la Mayenne. L'histoire s'écrira autrement : les édiles de cette époque n'ont pas fait mentir le dicton "Nul n'est prophète en son pays".  C'est ainsi que l'oeuvre de Louis Derbré s'est tournee vers d autres prestigieux horizons,  Deauville et le Loir et Cher plus particulierement avec la creation d un musee.

 

Les années 1990 verront la création de nombreux monuments : dans l'Orne porte de l'hotel des impôts, une sculpture monumentale pour la Maternité de l'Hôpital Lariboisière à Paris 10eme, Mémorial pour la Paix en présence des personnalités de la région de Hiroshima, le 2 juin 1997, il s'agit de la representation de 6 symboles  : L'Espoir, Le Courage, l 'Avenir, la Joie, la Tolérance, la Construction. 5 m de haut et en bronze.

 

En Novembre/Décembre, grande retrospective à la Coupole, le soir de la célébration du 70e anniversaire de l'établissement.

 

Louis Derbré est fait Chevalier de la Légion d'Honneur (JO du 12 avril 1998).

 

Un livre retrace 50 ans de création : ''Derbré de terre et de bronze'', Mireille retrace une partie de l'histoire dans un autre livre ''Derbré par sa fille''.

 

Louis Derbré aura travaillé jusqu'à ses derniers jours, à ses créations.

Louis Derbré au travail
sculpture dans l'atelier
Vue de l'atelier
Portrait dans l'atelier
Portrait au travail dans l'atelier
Louis Debré sculptant, cigarette en bouche
Portrait de Louis Derbré, début des années 70
Portrait dans l'atelier circa 1975
Portrait dans l'atelier circa 1975 - 1
Portrait dans l'atelier circa 1975 - 2
Portrait dans l'atelier circa 1975 - 3
Sculpture de Chebel dans l'atelier
Louis Derbré travaillant devant son modèle
Sortie du bronze dans l'atelier
Préparation d'une sculpture par Louis Derbré
Sculptures dans l'atelier
Sculpture de femme dans l'atelier
Sculpture dans l'atelier
Vue de l'atelier depuis la mezzanine
Sculpture 1
Préparation de la sculpture
Ensemble de sculptures dans l'atelier

 

Les expositions personnelles
Les expositions collectives