Anne-Sarah Le Meur
Exposition
Gratuit
Photographie

Résurgence Anne-Sarah Le Meur

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Vernissage
jeu 8 Sep 2022, 16:00

Galerie Depardieu
6 rue du docteur Jacques Guidoni
06000 Nice
France

Comment s'y rendre ?

La couleur verte, chaude et lumineuse comme un après-midi d’été, prédomine dans la nouvelle exposition d’Anne-Sarah Le Meur à la Galerie Depardieu. L’artiste explique vouloir expérimenter le vert, d’abord parce qu’il évoque la nature et la nécessité pressante de la protéger, mais aussi parce qu'est inattendue son utilisation par la technologie concernée : les 'tableaux' sont des tirages d’images numériques, c’est-à-dire des images, conçues par l'artiste, puis entièrement générées par ordinateur et par calculs. Paradoxalement, ce processus très intellectuel et immatériel permet de réaliser des pièces d’une grande sensualité. La couleur-lumière, au lieu d’être désincarnée, caresse et taquine le regard, l’attire vers les profondeurs de l’espace pictural. Le vert, teinte de la sérénité et des paysages luxuriants, s’ouvre devant le spectateur tel un lieu de contemplation, l’invitant à s’extraire du monde et à se plonger dans une expérience méditative.

 

Depuis une trentaine d’années, Anne Sarah Le Meur crée des œuvres d’une présence mouvante et énigmatique qui ne cessent de surprendre la vision. Après des études de mathématiques, elle découvre les images de synthèse au département d’arts plastiques de l’Université Paris 8, y apprend à programmer et à composer des images sur ordinateur. « Étant scientifique de formation, dit-elle, l’idée de faire de l’art avec l’informatique me paraissait impossible, mais cette impossibilité a été en fait une stimulation énorme […].* » Dans ses œuvres récentes, une multitude de teintes se déploient devant nos yeux : du vert, du gris, du violet profond, un rose-orangé… parfois un rouge vif fait irruption. Pourtant, l’artiste se sert d’une « palette » très restreinte : deux ou trois lumières, l’une claire et colorée, et l’autre sombre. Comme le peintre qui n’utilise que les trois couleurs primaires pour obtenir une gamme extraordinaire de nuances, Anne Sarah Le Meur expérimente avec très peu d’éléments pour arriver à une quasi infinité de possibles et une grande richesse visuelle. Elle élabore ses images dans un logiciel 3D, y écrit son code et définit ses variables et ses boucles, sans savoir préalablement ce qui se produira exactement. Et l’ordinateur engendre les images au fur et à mesure qu’il effectue les calculs. Ainsi, celles-ci se transforment sans cesse. Et pour faire ses tableaux, l’artiste doit effectuer des choix et des arrêts sur les phénomènes en mouvement perpétuel. D’où la sensation d’ondulation et de pulsation colorée qui saisit notre regard.

 

Le format de prédilection d’Anne Sarah Le Meur reste proche des proportions de son écran d’ordinateur. Monumental ou intime, l'espace pictural se constitue d’un rectangle presque carré, centré sur un fond coloré. Des tons chatoyants et des ombres mystérieuses semblent se mouvoir à l’intérieur de cette surface, dont les contours souples accentuent la sensation du mouvement. Si les œuvres sont résolument abstraites, des bribes d’images se révèlent parfois : une tache sombre, ronde comme une pupille et auréolée de lumière, nous suggère un œil, un sein… ou bien un astre noir ? Ailleurs, une ombre rôde au bord du cadre, ou se dissimule derrière un rideau flottant. À nous, spectateurs, d’imaginer la suite de ces pérégrinations. Émerge une sorte de théâtre de couleurs, constamment en train de se faire et se défaire, d’avancer et de se retirer, de s'évanouir et de resurgir, de repousser les confins mêmes de l’espace du tableau.

 

Anne Sarah Le Meur connaît bien l’histoire de la peinture, et ses œuvres s’inscrivent dans la continuité de cette histoire. Ses écrits mentionnent les impressionnistes et les expressionnistes abstraits américains comme sources d’inspiration. Les Nymphéas de Claude Monet, qui se révèlent au regard tel un écran scintillant de touches bigarrées, et bien sûr les toiles de Mark Rothko, ont nourri sa pratique et son approche de la mise en scène de la couleur. Esquissons un lien avec les sculptures peintes, quasi monochromes, de l’artiste américaine Anne Truitt, qui, au début des années 1960, cherche à faire exister la couleur seule dans l’espace, à la libérer dans les trois dimensions. Par son installation Outre-Ronde (élaborée entre 2003 et 2012), Anne Sarah Le Meur expérimente elle aussi cette libération de la couleur. La pièce interactive, qui n’est pas sans rappeler certains environnements lumineux de James Turell, invite le spectateur à « ralentir » son regard pour se laisser pénétrer par la couleur-lumière.

 

En parallèle de ses images de synthèse, Anne Sarah Le Meur a toujours pratiqué la photographie. Elle capte des formes énigmatiques dans les objets du quotidien, dans la lumière qui traverse un vase en verre, ou dans les ombres portées sur un mur. En voyage, son œil peut être attiré par une scène de rue, par un fragment d’architecture. Se trouve dans ses photographies, notamment les séries Sourdre et Lasse de 2011, une exploration de la lumière et du clair-obscur, en dialogue visuel avec ses images 3D.

 

Sans toile ni pinceau, l’artiste développe ainsi une œuvre qui interroge la peinture. Par le biais du processus de programmation, nous sommes amenés, bien au-delà de la technologie, vers la contemplation de la présence sensorielle de la couleur.

 

Diana Quinby, juin 2022

Artiste et historienne de l'art